Assis confortablement dans un TGV qui file en direction de Paris, je sens que le temps tente de récupérer les heures que nous lui avons volées hier soir avec Delphine. Le décor s’assombrit doucement, et aux vibrations du train viennent s’ajouter le rythme entraînant des fifres, des tambours et des chants de carnaval. La fête n’est pas finie ! En fait, elle ne fait que recommencer.
Il est bientôt minuit, mais la fête a débuté bien avant pour toutes celles et ceux qui ont « fait chapelle » en ripaillant à domicile avec les amis, les amis des amis, et des invités pas toujours invités. Pendant le dîner on répète tous ensemble les chants du carnaval, puis on se déguise, on se maquille, et le temps de rappeler les consignes pour profiter à fond du bal, il est déjà l’heure de traverser la nuit, munis de nos précieux sésames.
Un Chat noir… de monde !
Plus de 10 000 carnavaleux aux costumes extravagants se sont donnés rendez-vous cette nuit. Toutes les places se sont écoulées en moins d’une semaine. Et pour cause ! L’ouverture de la saison carnavalesque de Dunkerque, cela n’arrive qu’une fois pas an. Dans le Palais des congrès, la foule s’est déjà regroupée bras dessus-dessous autour de l’estrade centrale où des musiciens vont rythmer la nuit. Minuit approche, c’est l’effervescence. L’horloge géante suspendue au plafond se met à résonner. Un premier coup, puis un second. Le sol se met à trembler sous le pas et les cris d’une myriade de fêtards déguisés, maquillés, travestis, et bien ‘’hydratés’’. Une année qu’ils attendent ça !Les pépins de toutes les grandes associations de carnavaleux vont et viennent à plusieurs mètres au dessus de nous. En premières lignes, des hommes bâtis comme des armoires se préparent à jouer des coudes. Le dernier coup de l’horloge disparaît derrière les hurlements de joie. Les cuivres et les percussions résonnent et la foule est entraînée dans le premier chahut de l’année.
Chahuts, douce ivresse et ecchymoses
Le novice qui observerait un chahut de l’extérieur verrait une procession de carnavaleux marchant autour de l’estrade circulaire en chantant, collés les uns aux autres en se serrant par les coudes, tout en suivant le rythme et les musiques jouée par l’orchestre.
Mais une fois à l’intérieur, il serait rapidement emporté par une joyeuse marée humaine qui avance, recule, et se bouscule en chantant – souvent très faux, mais toujours de bon cœur. Par intermittence (il suffit d’écouter la musique pour comprendre quand ça va commencer), les premières lignes s’immobilisent net et bloquent la foule qui essaie à tout prix de les déloger en poussant, toujours plus fort, quitte à marcher sur les pieds des voisins. C’est une épreuve physique et il n’est pas rare qu’ un participant s’exclame « Sortie ! Sortie ! » et s’extrait du chahut pour reprendre son souffle et boire une mousse. Les chahuts se terminent généralement avec un chaleureux hommage musical à Cô-Pinard ; En chantant son hymne ou la Cantate à Jean Bart j’ai vu des larmes monter aux yeux des plus téméraires.
Fabrice nous accompagne. Mais si, Fabrice, mon équipier pendant Paris-Honfleur en canoë ! Nous sommes déguisés en citoyens de la Grèce antique, mais après avoir perdu sa couronne de laurier dans un chahut, Fabrice rencontre un plus grand succès : les dunkerquois l’interpellent :
- « Hé c’est Jésus !!
- Hééééé Moïse !!!! »
Dans la seconde salle (un autre groupe y interprète tous les tubes du moment) Fabrice sépare miraculeusement la foule comme si c’était la Mer Rouge J Des inconnus s’agenouillent même devant lui pour avoir sa bénédiction ! C’est son premier bal de Dunkerque, et lui aussi s’est promis de revenir.
Près du bar, je discute avec l’un des cadres de l’association des Quat Z Arts (qui organise le bal du Chat noir depuis 1921). On parle de comm’, d’Internet, de billetterie en ligne, de site web promotionnel. Je le sens mal à l’aise. La vie associative, c’est souvent compliqué. Il aimerait débloquer des fonds pour communiquer sur les missions de l’association. D’un autre côté, attirer trop de touristes (« les autres », les non-dunkerquois) risquerait de dénaturer cette fête. Et puis les places du bal s’écoulent en 4 jours ! Il me rappelle que Quat Z Arts est une association philanthropique, et que les recettes du bal de l’année dernière (80 000€) ont permis de financer des actions caritatives.
Des photos ! Des photos !
Nous n’avions pas emporté d’appareil photo ni de smartphone, mais voici quelques photos du Bal du Chat noir glanées ça et là :
Il y a de fortes chances qu’on y retourne l’année prochaine.
Et vous ?
[Crédit photo : Jean-Louis Burnod]
19 février 2020 @ 16 h 28 min Quentin
Super article merci encore pour vos partage de ces magnifiques expériences !!